Ceux qui se sont évaporés : le silence après la fuite

Avez-vous déjà ressenti l’envie de disparaître? De laisser derrière vous votre vie telle que vous la connaissez, d’abandonner votre identité bâtie jusqu’à présent et tout ce qui vous définit? Pour devenir quelqu’un d’autre. La disparition volontaire est un thème qui fascine Rébecca Déraspe, autrice de la pièce Ceux qui se sont évaporés.

Le phénomène social des évaporés du Japon, c’est-à-dire environ 100 000 Japonais qui s’enfuient de leur propre vie de façon délibérée chaque année, est en fait ce qui a inspiré la dramaturge pour l’écriture de sa plus récente œuvre qui est présentée sur la scène principale du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

Crédit photo: Valérie Remise


Mère, conjointe, infirmière, Emma, jouée par Geneviève Boivin-Roussy, mène une vie des plus rangées et linéaires, jusqu’à ce qu’une envie de s’évaporer et de tout quitter s’immisce en elle. Happé par les conséquences et la douleur qu’engendre la disparition de la jeune femme, son entourage se questionne sur les raisons de son départ et demeure impuissant face à cette grande déchirure.

Scène par scène, le concept de l’identité comme un carcan, une ligne directrice unidimensionnelle dont on se retrouve prisonnier est amené de façon complètement éclatée. Tout au long de la pièce, on sent le désir de décrire cette absence désirée et cet évitement de l’inévitable ressentis par Emma. Cette absence de sa vie d’avant, son absence, deviendra étrangement pour elle une façon d’être plus présente que jamais pour elle-même.

Crédit photo: Valérie Remise

Le mouvement étourdissant, la lumière changeante et le chaos des mots éparpillés de chacun des personnages créent une atmosphère d’incompréhension, une sorte d’anarchie qui évoque celle qui bouille à l’intérieur des proches de la disparue, particulièrement de sa fille, Nina, qui aura perdu sa mère à l’âge de 5 ans. La mise en scène exécutée par Sylvain Bélanger est particulièrement réussie et sert magnifiquement le propos qui demeure complètement obscur et tragique. Dans tout leur désarroi et leur quête de réponses, les proches d’Emma s’enfoncent dans une sorte d’obscurité qui les mène à s’interroger sur leur propre identité et existence.

La scène finale de l’œuvre qui met en lumière Nina, l’enfant abandonnée alors devenue presqu’adulte, ainsi que sa mère, ou plutôt l’image qu’elle s’est créée de sa mère disparue, est foudroyante. Dans un long monologue livré par l’actrice Éléonore Loiselle avec une sensibilité déchirante, on comprend toute la douleur incommensurable et les subtilités multiples des ramifications de l’abandon et du vide immense laissé par celui-ci.

L’intensité du texte culmine à ce moment de l’œuvre où tout le bruit étourdissant des premières minutes de la pièce prend tout son sens pour laisser place à une forme de grand silence comblé par la profondeur des mots Rébecca Déraspe et l’interprétation magistrale de la jeune actrice. Cette magnifique pièce est présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui du 3 au 28 mars et elle est à voir absolument.   

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