Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, en coproduction avec le Théâtre des Récréâtrales, basé à Ouagadougou, présente Nassara, un récit signé Carole Fréchette sur les douleurs de soi, des autres et du monde qui s’entrechoquent et s’alimentent dans un univers injuste. Magnifiquement interprété par Marie-Thérèse Fortin, le personnage de Marie-Odile visite le Burkina Faso pour prendre part à un colloque sur l’agriculture urbaine. Étourdie par sa solitude, sa douleur profonde dûe à un fils qui a pris la fuite et des relents de sa relation conflictuelle avec sa sœur récemment décédée, l’entrepreneur se penche sur des questions d’agriculture urbaine et discute d’idées de grandeur avec ses paires jusqu’à ce que tout s’écroule devant eux. Jusqu’à ce que des enjeux plus profonds que leurs projets humanitaires aux motifs discutables leur soient brusquement présentés.

Nassara, signifiant le Blanc, la Blanche en moré, prend un sens particulier lorsque scandé par un groupe d’enfants burkinabés qui se ruent vers elle avec joie et candeur dans les rues de Ouagadougou. Le fil du récit se forme et se déconstruit sous nos yeux quand les planches se mettent à tourner en même temps que se bousculent les répliques jouées par Stephie Mazunya, Moussa Sidibé et Marie-Thérèse Fortin qui se heurtent les unes contre les autres. La densité et le fort débit du texte sont à la hauteur des interprètes de talent qui habitent l’espace sur scène avec une grande profondeur. Les fréquences distinctes des voix des personnages apportent un contraste intéressant et assez poignant au sens des mots de Carole Fréchette. Le personnage d’Ali, interprété par Moussa Sidibé, un jeune natif de Ouagadougou, curieux et vif d’esprit, mais désemparé et fatigué, crie son plaidoyer à la reconnaissance et à la place qui lui revient dans une conversation à laquelle il aurait dû être invité. La droiture implacable du jeu de Stephie Mazunya symbolise toute la puissance et la nécessité de la place qu’elle prend sur scène en contraste avec le sourire mélancolique qu’on décèle dans le jeu de Marie-Thérèse Fortin.

La mise en scène précise et habitée signée Sophie Cadieux se métamorphose au fil du temps et sert très bien les intonations de l’histoire. La blanc à perpétuité qui tapisse l’espace au tout début du récit est particulièrement criant et laisse place ensuite à des tons de noirceur, parfois entremêlés à de brefs moments de lumière au gré des bribes du texte qui déchirent et qui déboulent à la vitesse grand V. La lumière rougeâtre qui jaillit de temps à autre évoque la couleur de la terre du Burkina Faso, comme une flamme qui tend à s’éteindre, mais qui résiste et perce la noirceur. C’est un exemple de toute la finesse de la mise en scène et de la scénographie qui élèvent cette oeuvre.

On quitte ce moment en salle quelque peu éprouvé, mais surtout inspiré et allumé, ce qui est gage d’une démonstration de grand théâtre. La pièce est la première à se produire officiellement dans la salle du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui tout récemment renommée en l’honneur de Michelle Rossignol. Nassara est présentée jusqu’au 25 septembre sur les planches du CTD’A.