Dix quatre : les failles de la société en plein visage

En 2019, le dramaturge et scénariste canadien Jason Sherman proposait au Tarragon Theatre à Toronto Copy That, une comédie satirique dans laquelle il abordait les grandes failles du milieu télévisuel, industrie impitoyable dans laquelle il avait navigué plus tôt dans sa carrière. Dans une traduction de Jean Marc Dalpé nommée Dix quatre présentée à La Licorne, le public est convié à un moment de théâtre rempli de vérité et d’inconfort.

Crédit photo : Suzane O’Neill

Dans Dix quatre, un quatuor de scénaristes s’affaire à la conception des premiers épisodes de leur nouvelle série télé policière. Submergés par la charge de travail colossale qui leur est imposée avec ardeur par une productrice acerbe, les créateurs ne s’entendent pas sur la quête de leur série. À un certain moment, l’un d’entre eux subit un acte violent de profilage racial et souhaite transposer cet événement vécu hautement traumatique au cœur du propos de leur télésérie.

La mise en scène habilement ficelée par Didier Lucien traduit bien l’inconfort, les contradictions et les ruptures de ton engendrées par les durs enjeux de société qui sont abordés de front à travers le texte assez cru et difficile. Dans la pièce est évoqué avec beaucoup de poids le pouvoir immense octroyé à certains des personnages qui jouissent d’un privilège auquel ils s’accrochent avec ferveur et qui, dans un même temps, nuit violemment aux autres individus qui se trouvent dans des situations vulnérables.

Les enjeux de justice sociale, plus précisément le racisme à travers le profilage racial et le tokenisme, la misogynie dans la façon dont les voix des femmes sont tues ou ridiculisées, mais jamais reçues comme égales, sont dénoncés avec beaucoup d’intensité et de sensibilité dans Dix Quatre. Le personnage de Colin, brillamment interprété par Irdens Exantus, qui se trouve victime de profilage est particulièrement complexe et intéressant. Il subit, il milite, il se bat pour son existence et sa valeur et il montre ses propres failles. Il est pluriel.

Crédit photo : Suzane O’Neill

Bien que le filon principal de la pièce soit de mettre en lumière toutes les failles, la laideur absolue et cruelle du milieu télévisuel et, en parallèle, de la société actuelle, afin de les critiquer, certaines scènes sont un peu trop appuyées. Le léger manque de finesse à cet égard rate un peu la cible pour honorer toute l’importance et la complexité que le propos initial porte.

La façon dont l’auteur aborde le sort réservé aux femmes est intéressante alors qu’on nous présente deux personnages féminins aux antipodes l’un de l’autre. D’une part, la jeune femme dont on discrédite la voix et les idées est réduite à son âge et son image, et d’autre part la patronne impitoyable et cassante est détestée et redoutée, sans être pour autant respectée. Les personnages joués respectivement par les talentueuses Laura Amar et Marie-Hélène Thibault ajoutent beaucoup de dimension à la trame narrative.

Enfin, Dix quatre est une pièce confrontante et saisissante, mais son essence est importante. Plus que jamais, l’art sert à sensibiliser le public à des enjeux critiques de société et à susciter un éveil sur des problématiques fondamentales comme les inégalités dans le traitement des humains et leurs droits fondamentaux. C’est sans doute le cheval de bataille de cette pièce qui sera présentée à La Licorne jusqu’au 25 février.

À ne pas manquer également : une causerie avec Fabrice Vil, fondateur de l’organisme Pour 3 points et Didier Lucien, metteur en scène de la pièce se déroulera le 1er février avec pour thème jusqu’où l’engagement social peut-il s’incarner à travers une œuvre de fiction ?

Laisser un commentaire