Héritage (A raisin in the sun): Une oeuvre puissante et incarnée

Héritage, l’adaptation française de A raisin in the sun, œuvre phare chez nos voisins du sud, est présentement à l’affiche chez Duceppe. Écrite par Lorraine Hansberry, écrivaine, dramaturge et fervente militante pour la justice sociale aux États-Unis, A raisin in the sun est la première œuvre d’une dramaturge afro-américaine à être produite sur Broadway en 1959.

C’est avec une traduction signée Mishka Lavigne et une mise en scène de Mike Payette que l’on retrouve l’adaptation francophone de cette création emblématique soutenue avec brio par le jeu d’interprètes de haut calibre, dont Frédéric Pierre, Mireille Métellus et Myriam De Verger. On n’y manque pas, cette fois-ci, (!!!) la représentativité des personnages afro-américains sur scène est sans faille. C’est un aspect primordial et non négligeable, particulièrement dans le contexte bien précis du propos de cette œuvre.

Héritage traite avec sensibilité et pertinence d’enjeux sociaux et historiques auxquels font et ont fait face les familles afro-américaines aux États-Unis au cours du siècle dernier. Le désir de l’émancipation, la quête identitaire individuelle et collective, la lutte contre l’injustice et l’hostilité, l’espoir et la famille sont des éléments qui sont disséqués et présentés de façon complexe et avec grande authenticité à travers cette œuvre.

Dans Héritage, trois générations de la famille Younger vivent sous un même toit à Chicago et rêvent ensemble en partagent tout de leur quotidien et de leur histoire, mais chérissent des idéaux individuels bien distincts. Par exemple, les aspirations entrepreneuriales de Walter Lee qui rêve de richesse et de pouvoir contrastent avec les ambitions idéalistes de sa sœur Beneatha, étudiante en médecine, qui rêve de s’affranchir en tant que femme et d’emprunter un chemin atypique.

Dans Héritage, l’image traditionnelle de la famille américaine adhérant à des principes religieux et conservateurs de l’époque est totalement anéantie, ce qui est fascinant. Alors que Beneatha affirme de façon inébranlable son rejet complet de la religion à sa mère, Walter Lee ponctue sa révolte face à son sort de multiples sacres. Tout au long de la pièce, on sent que chaque parcelle de dialogue, aspect du décor et de la trame sonore est vraisemblablement représentatif d’une communauté qui porte un poids immense. Le poids de l’injustice sociale, l’impuissance face à l’ignorance de l’envers de la société et le poids des blessures historiques sont tous véhiculés de façon extrêmement sensible et incarnée. Lorsque les Younger sont intimidés et rejetés par les résidents caucasiens du quartier dans lequel ils comptent s’installer, leur résilience et leur force fait ensuite inévitablement place à une grande vulnérabilité et une déchirure désarmante. La façon dont dissonance de ces sentiments est amenée est percutante.

Aussi, la musicalité d’héritage est un élément clé de l’œuvre. Juché au-dessus du décor, un trompettiste personnifie le symbole du bluesman afro-américain. De façon ponctuelle et à des moments particulièrement frénétiques et lumineux de la pièce, le trompettiste se met à jouer quelques notes qui apportent un peu d’amertume à la scène. C’est exprimé comme une sorte de rappel mélancolique à la réalité de la famille qui, malgré ses petits bonheurs du quotidien, doit faire face à une adversité constante et violente.

Le décor est aussi une métaphore ingénieuse en soi, puisque le petit appartement dans lequel loge la famille Younger n’occupe que le tiers de la scène, comme s’il se noyait dans le reste des logements densément disposés les uns contre les autres. Cette image est possiblement aussi un clin d’œil de la dramaturge à la perception que les résidents racistes ont de la famille Yonger. Comme s’ils les percevaient comme plus petits que nature, amoindris et écrasés. Alors qu’ils sont pourtant si GRANDS.

Héritage (A raisin in the sun) est un une œuvre incontournable et nécessaire à voir cet automne. La magnifique pièce est présentée chez Duceppe à la Place des Arts jusqu’au 5 octobre 2019. Merci à Pier-Luc Daoust qui a contribué à ce texte avec ses idées et conclusions brillantes suite au visionnement de la pièce!

Pour plus de renseignements sur Héritage : https://www2.duceppe.com/spectacles/heritage/

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