La jeune actrice Camille Paré-Poirier est présentement en résidence au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui avec sa pièce Je viendrai moins souvent. L’œuvre très personnelle de la créatrice est née, et s’est déployée, lentement, à partir d’une expérience difficile durant laquelle, en pleine perte de repères à son arrivée à Montréal, elle rendait visite plusieurs fois par semaine à sa grand-mère Pauline vivant en CHSLD.
Au fil des rencontres entre les deux femmes qui chacune de leur côté, vivaient de petits deuils autour d’elles, un fil conducteur se tisse et devient le point de départ d’un projet artistique lorsque Camille commence à enregistrer les réflexions et les paroles de sa grand-mère. Camille, alors célibataire, en plein déracinement, tout juste catapultée dans une nouvelle ville s’est alors découvert plusieurs points en commun avec Pauline, âgée de 70 ans de plus qu’elle, qui se retrouvait pour la première fois en perte d’autonomie et perdait rapidement le contrôle sur sa santé et sa mémoire.

D’après ces enregistrements qui ont été recueillis par Camille Paré-Poirier durant plus de quatre ans, entre 2017 et 2021, l’artiste a conçu un balado qui avait pour titre Quelqu’une d’immortelle. Dans les épisodes de ce balado criant de beauté, l’auditeur a l’immense privilège d’être témoin de bribes de conversations qui font état du lien puissant qui unit les deux femmes. Les parts d’ombres qui font partie de la réalité du vieillissement et de la maladie et toute la lumière et la vérité des réflexions et de la poésie issues de ces moments vécus entre Camille et sa grand-mère font de ce projet un concept assez unique.
C’est à partir de cette précieuse matière première et de cette brillante idée de départ que Camille Paré-Poirier a ensuite souhaité adapter ces riches conversations pour la scène, sous forme d’autofiction. La voix de Pauline résonne fort dans ce solo, interprété par Camille Paré-Poirier elle-même. La mise en scène confiée à Nicolas Michon est toute simple et intime pour laisser toute la place à l’unicité de la voix de Camille et à l’héritage de Pauline. Dans l’adaptation scénique de ce projet, Camille Paré-Poirier a souhaité utiliser du matériel enregistré lors de conversations avec sa grand-mère qui n’avait pas été utilisé pour son projet balado.
Parmi celui-ci, des moments déchirants audio qui font état des effets ravageurs de la démence et de la perte de repères graduelle de Pauline. Tout au long de la pièce, des extraits audios s’enfilent à travers la narration de Camille Paré-Poirier et le fruit de ses réflexions et de sa recherche. Les extraits défilent, et passent de moments de totale perte de contrôle menant Pauline à des moments d’extrême vulnérabilité qui font jaillir toute la pureté de ses paroles, à d’autres moments bouleversants, durant lesquels la femme est témoin du déclin de son autonomie et de sa mémoire. Dans un rythme lent à la fois tragique et plein d’espoir, on entend Pauline s’éteindre en même temps de s’illuminer lors de moments de pure lucidité et de beauté. Un manège poignant.

À travers cette grande réflexion à voix haute que Camille Paré-Poirier porte sur scène, elle interroge la place que l’on porte à la proche-aidance. En racontant l’histoire du deuil au ralenti auquel elle a été confrontée, elle se questionne également sur notre rapport à notre propre vieillesse, la dépression, la solitude et les enjeux éthiques entourant sa démarche. Le genre autofiction mêlé à une approche documentaire est particulièrement bien exploité dans Je viendrai moins souvent.
Je viendrai moins souvent est une proposition douloureusement géniale à voir absolument. La pièce est présentée à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 13 mai prochain.