Le jeune dramaturge britannique Robert Icke signait en 2019 la pièce The Doctor, une création adaptée assez librement, basée sur l’œuvre Professor Bernhardi de l’auteur autrichien Arthur Schnitzler parue en 1912. Acclamé pour ses propositions innovantes et assez radicales, Icke s’inspire dans ce cas-ci du texte traitant des ravages de l’antisémitisme et le transpose en un vaste débat sur l’identité. Le thriller moral Docteure est à l’affiche chez Duceppe dans une traduction confiée à Fanny Britt.

Dès la première scène, on nous présente la réalité troublante d’une jeune adolescente alitée à l’institut de recherche médicale Elizabeth à l’agonie aux suites d’une tentative d’avortement autoadministré à la maison. Le sort malheureux de la jeune fille avait été constaté dès son arrivée à l’institut par la docteure Wolff, fondatrice et directrice générale de l’hôpital. Les intervenants s’affairent alors à donner à la patiente le plus de paix et de confort possible. C’est alors qu’un prêtre se présente avec empressement et détermination pour prodiguer les derniers sacrements. Le pasteur se fait refuser catégoriquement l’accès par Wolff qui juge que cet acte perturberait l’état paisible de la jeune fille lors des derniers instants de sa vie.
C’est ce point de rupture qui sera l’élément déclencheur d’une polémique dans laquelle sera plongée la docteure Wolff, alors que la médecin de confession juive se retrouvera accusée d’un comportement immoral. Un débat public sera amorcé alors que les convictions et l’éthique de la docteure seront remise en question. À partir de ce point tournant dans le récit, l’auteur interroge, de façon parfois un peu alambiquée, de multiples éléments identitaires qui s’entrechoquent. Les prises de paroles d’un côté et de l’autre du spectre sur par rapport à différents enjeux sociaux fusent de toutes parts alors que l’intrigue se dessine.
La trame prend même des airs de satire à un moment où la docteure Wolff est mise sur la sellette sur un plateau télévisé où elle sera la cible d’un interrogatoire assez musclé mené par un panel d’activistes de tout acabit. Le panel constitué notamment d’un spécialiste en culture juive, d’un activiste antiavortement et d’une universitaire anticolonialiste représente bien la polarisation des idées et de la politique identitaire qui font du paysage social actuel ce qu’il est. L’auteur aborde également assez bien, comment les étiquettes qu’on appose aux autres et dont on se réclame nous-mêmes sont parfois subjectives considérant les nombreux biais qui teintent nos postures idéologiques.
Pascale Montpetit porte le rôle de la docteure Wolff avec beaucoup robustesse et de prestance. Elle est entourée de comédiens de talent comme Elkahna Talbi, Yanic Truesdale, Harry Standjofski et Sofia Blondin qui sont solides dans leur interprétation du texte dont les répliques s’enchaînement dans un ping-pong verbal. Le texte concis et cadencé de Robert Icke est traduit par Fanny Britt avec finesse. L’essence du propos est intéressante et porte à une réflexion très large. Cependant, le fil conducteur du texte ne semble pas se construire de façon claire et définie tout au long de la pièce.
La multitude et le degré de complexité des enjeux abordés dont l’antisémitisme, l’identité de genre, le féminisme, le droit à l’avortement et la discrimination positive font en sorte que l’on saisit difficilement l’objectif premier de l’œuvre. Certains des sujets sont aussi trop peu développés, ce qui peut devenir déboussolant parmi les différents filons que l’on nous propose. Cela dit, cette façon de démontrer les ramifications de la pluralité des idées et des postures politiques est assez symptomatique du climat politique dans lequel on se trouve et demeure un sujet très profond et d’actualité. La mise en scène construite par Marie-Ève Milot est chirurgicale et efficace tout en évoquant une certaine lenteur et une fluidité vaporeuse. La scénographie se présente sous nos yeux comme une chorégraphie harmonieuse et bien balancée. L’esthétisme de la pièce est particulièrement réussi et engageant.
Docteure est présenté au Théâtre Duceppe de la Place des Arts jusqu’au 18 novembre 2023. C’est une œuvre à voir pour le débat idéologique dont elle fait état et pour les nombreuses pistes de réflexion qu’elle impose.