“Le critique cuisiné” : être critique culinaire à l’ère des blogueurs

Dans le cadre de sa 20e édition, Montréal en Lumière nous a offert un volet conférences riche et varié. D’une incursion dans le monde des agrumes aux secrets de l’art latté, en passant par la gastronomie sociale au Québec et l’influence d’Instagram sur les chefs et leur travail – les occasions d’apprendre ne manquaient pas!

Pour ma part, j’ai assisté à une rencontre bien spéciale entre Jean-Philippe Tastet, critique culinaire réputé, et Marie-Fleur Saint-Pierre, chef du Tapeo et du Mesòn (dont elle est également propriétaire). Présentée par la SAQ, cette discussion intitulée “Le critique cuisiné” portait sur les dessous du métier de critique et la place changeante qu’occupe celui-ci à l’ère des blogs, de TripAdvisor et des avis Google.

Repas de l’Action de grâce

Jean-Philippe Tastet est catégorique: aujourd’hui, à peu près tout le monde peut s’improviser critique gastronomique. L’influence d’un journaliste professionnel s’en trouve donc diminuée. À ce sujet, il mentionnait l’exemple d’un (très mauvais) restaurant situé sur le boulevard Saint-Laurent, sur lequel un article incendiaire avait été publié dans La Gazette. Le lendemain de la parution, le propriétaire avait appelé une agence de relations publiques et avait demandé à ce que tous les influenceurs “food and lifestyle” à Montréal soient invités à souper à son restaurant, tous frais payés. Cette opération avait évidemment pour but de noyer la critique originale.

N’empêche que pour Marie-Fleur Saint-Pierre, la visite d’un critique dans son établissement a des répercussions énormes. Au cours de la soirée, elle a admis avoir été chamboulée par les deux étoiles (sur quatre) octroyées à Mesòn par la célèbre et intransigeante Lesley Chesterman. Suite aux commentaires de celle-ci, la chef a apporté des changements à sa manière de travailler, afin de rehausser le niveau de son établissement.

Décrivant les chefs comme des gens “passionnés, dévoués, dans leur bulle”, Mme Saint-Pierre a souligné que l’avis d’un critique les ramène à la réalité et leur donne une évaluation objective de leur cuisine. Cependant, elle n’a pas caché qu’avoir un critique en salle décuple le niveau de stress – ce qui, selon elle, n’est jamais nécessaire! Fidèle à son côté humoristique, elle a comparé cette expérience au moment où ta belle-mère débarque pour goûter ton pâté chinois, que tu maîtrises parfaitement d’habitude, mais que tu remets tout à coup en question.

Ces échanges parfois drôles, parfois sérieux entre deux figures emblématiques de la scène culinaire montréalaise m’ont fait réfléchir sur l’importance et la viabilité du métier de critique. Cependant, j’en ai surtout retiré une appréciation nouvelle du travail des chefs. Quand on mange au restaurant, on ne voit souvent que le contenu de l’assiette ou le décor qui nous entoure, oubliant tous les efforts fournis par d’autres pour nous livrer cette expérience. Pourtant, ce matin-là, un chef passionné et généreux s’est levé à 5 heures pour mettre la main sur les meilleurs produits au marché. 12 heures plus tard, il est encore dans sa cuisine, finalisant les derniers préparatifs avant le début du service, afin que chaque client passe un moment agréable. Qu’on soit blogueur à temps partiel ou critique gastronomique professionnel, quelle belle mission que de célébrer le savoir-faire des chefs qui font la réputation de notre ville!

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